lundi 12 juin 2017


"On ne peut pas consacrer dix ans de sa vie à écrire un roman sans y laisser une grande part de soi. Chaque livre est comme un enfant, et pas que d'un point du vue métaphorique, car dans votre cœur, les malheurs de votre enfant vous font terriblement souffrir."

***

Bien le bonjour les aminches.

Vieillir, ça a du bon. Mais pas que... L'un des dangers qui nous guettent est une nostalgie mal placée, vicieuse, qui détourne nos souvenirs pour les magnifier en un âge d'or fantasmé.

Cette mode du vinyle tient... Ah ! Le doux grésillement du diamant sur le sillon. Cette authenticité, ce son chaud et soyeux comme un criquet après l'orage ; oubliant soigneusement le disque qui saute, la mange-disque récalcitrant ou la platine qui te coûte une blinde, un bras et une partie du torse. Et pourtant je souscris bien volontiers à cette mode.

L'autre jour zappant paresseusement je tombais sur une bande de décérébré(e)s en maillot, malmenant la grammaire la plus élémentaire, n'aspirant qu'à être eux-mêmes en plus con...nus.

Il fut un temps où l'on avait une soif plus absolue, où l'on voulait être écrivain :


Lorsqu’il rencontre Jaime sur les bancs de la fac, Charlie en tombe immédiatement amoureux. 

Elle est bien meilleur écrivain, mais c’est lui qui décroche un prix et ambitionne d’écrire le «Moby Dick de la guerre ». 

Dans le sillage charismatique du couple, déménagé à Portland, une bande d’écrivains se forme. Au tournant des années 1950-1960, tous rêvent de succéder à une Beat Generation agonisante. 

De la Californie à l’Oregon, entre succès éphémères et échecs cuisants, ils écument les bars de la côte Ouest et font le deuil de leurs illusions. 


Ce DERNIER VERRE est un cadal. Offert par une amie de moi à qui je tiens beaucoup. J'adore que l'on m'offre des livres. Le souci est que je peux donner le change avec une bouillotte pure laine tricotée maison.

"Suuuuper ! Juste ce qu'il me fallait, j'ai souvent froid aux pieds. En plus l'été débute..."

Je ne peux le faire pour un livre. Je ne peux mentir en littérature. Pas moyen.

Mais cette amie *yeux au ciel* elle me connaît bien. Je ne m'en faisais pas trop.

UN DERNIER VERRE AU BAR SANS NOM est une petite merveille. Tout un roman déjà que ce livre laissé inachevé par son auteur Don Carpenter...



... Rattrapé trop tôt par la Faucheuse.

Tiré de l'oubli par son éditeur passionné et achevé par ce dernier en suivant les notes de Carpenter, UN DERNIER VERRE est un rescapé.

Ce livre se situe dans les années cinquantes finissantes, à l'orée des sixties, au crépuscule de la Beat Génération.

Kerouac, Burroughs, Ginsberg. La sainte Trinité des alcoolos mythiques, des clodos magnifiques. J'ai lu en mon adolescence  le SUR LA ROUTE de Kerouac, l'un des piliers de la la littérature américaine. Ce masterpiece écrit sur parchemins, se déroulant tels des papyrus antiques. 



A mon grand désappointement, je n'en ai guère de souvenirs. Nous sommes parfois simplement trop jeunes pour certains livres. Je n'ai pas lu Ginsberg, je ne suis pas épris de poésie. Quant à Burroughs, trop perché, son écriture automatique me laisse froid. 

Mais quelle époque !

Les bars enfumés, refaire le monde dans un bar miteux de San Francisco, ça a une autre gueule que discuter le coup avec kiki le fada au PMU du coin.

Les héros de ce DERNIER VERRE , Charlie et Jaime sont piles dans leur époque, jeunes et amoureux. Charlie, plus vieux, la petite trentaine, démobilisé de la guerre de Corée, traque le grand livre de guerre, un autre DES NUS ET DES MORTS de Mailer. 

Jaime au sortir de l'adolescence cherche le grand livre tout court. Des deux, seule Jaime est une vraie écrivaine.

"En lisant le manuscrit de Jaime il avait compris pourquoi il ne pouvait pas terminer son propre livre. Charlie n’était pas écrivain, Jaime si. (…) Jaime savait instinctivement comment assembler les différents éléments pour que l’ensemble soit fluide d’une scène à l’autre. Le texte de Charlie, lui, était sens dessus dessous, (…) rien ne coulait."

Dans un style épuré, sans fanfreluches qui peluchent, quasi désossé, Don Carpenter livre à nos yeux éblouis un errance, un amour qui grandit et s'étiole.

Et c'est passionnant et déchirant.

Jaime est un personnage splendide. Véritable, adorable, insupportable, toujours sincère qui renvoie Charlie à son image de velléitaire adolescent.

UN DERNIER VERRE ne regorge pas de zombies, de monstres de l'espace où serial killers machiavéliques. Juste des artistes qui se cherchent, grandissent, se rident et perdent leur cheveux. 

Parsemé de trouvailles absolument géniales comme Stan emprisonné qui entend écrire un beau roman mais qui faute de papier et d'encre en mémorisera chaque chapitre.

"Le chemin fut parsemé d'échecs, bien sûr, mais très vite, il prit l'habitude de mémoriser des chapitres entiers. Il ne savait pas comment cela fonctionnait mais ça fonctionnait. Ce n'était pas dans le plus dur, non. La construction des scènes non plus. Il voulait que les choses soient aussi cinématographiques que possible parce que cela facilitait la mémorisation, si bien qu'il avait monté chaque scène autour d'un élément concret, une chaussure, une vitre, n'importe quoi pour ne pas perdre de vue la scène. Il opéra de la même manière avec les personnages. Chacun d'eux possédait une caractéristique visible pour que Stan se souvienne de qui il ou elle était, cheveux qui rebiquent par derrière, un fumeur de cigares, un autre qui tire sur son oreille gauche quand il est nerveux. Stan avait tout emprunté à des gens qu'il avait connu. La mémorisation n'était qu'une affaire de ruse, se dit-il."

Un roman fabuleux. 

Très américain dans ce que cela peut avoir de meilleur.

Je n'ai qu'une crainte.

Si j'avais vieilli pendant la Beat Génération, qu'en aurais-je bien pensé ?

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